Esperanza

Sur un paquebot de luxe, l’avenir du monde se joue entre un criminel contre l’humanité, son épouse d’une grande beauté et un capitaine dont le cœur s’agite au rythme des vagues. À la fois farce et fable chargée d’humour et de suspense, Esperanza est aussi un texte qui évoque l’impuissance à lutter contre le mal.
  • Une farce sur les criminels contre l'humanité

« Approchez Mesdames et Messieurs » auraient pu dire les saltimbanques, comédiens, musiciens, danseurs qui s’enviennent sur scène, ou plus exactement sur le pont, pour jouer cette farce, cabaret tragique et grotesque, à bord du paquebot Espéranza.

Alors… fanfare, musique, champagne, ors et décors, croisière, transatlantique voguant vers Caracas… pour ces nantis de notre Europe obscène, suffisante, débordante, dégoulinante. La croisière s’amuse… Luxe, tangage et vomissements…

Ils sont là, le banquier, le producteur de cinéma, l’industriel millionnaire, la collectionneuse viennoise, le lord anglais, la baronne norvégienne et le beau capitaine… Au milieu d’eux, dissimulé, en leur sein, un Docteur en volcanologie, accusé de crime contre l’humanité, flanqué d’Elle, en lettres capitales, sa compagne. La Bête et la Belle. Tous boursouflés de suffisance, d’outrance et d’excès. Ils sont en croisière et parlent du Bien et du Mal, de la croûte terrestre ou de l’ennui, et surtout de que faire lorsque l’on a à bord un criminel contre l’humanité ? Huis clos, nausée et mains sales.

Et vogue le navire en eaux troubles, pris dans les entrailles d’un océan noir, confronté aux « icebergs de la mémoire ». Une comédie des horreurs. Une macédoine de grosses légumes. Un naufrage burlesque.

Adaptation du macédonien par Maria Bejanovska, Editions l'Espace d'un Instant.

  • Esperanza ou le naufrage délictueux des corps

Sous­‐titrée « la farce sur les criminels contre l’humanité », Esperanza de Žanina Mirčevska invite, en 19 tableaux, à revisiter ce que l’histoire humaine a pu charrier comme figures de la mort (criminels et génocidaires). L’Océan Atlantique que traverse le paquebot transatlantique de luxe Esperanza, quittant l’Europe avec à son bord 13 personnages, se dresse tel un nouveau Titanic tentant de braver d’étranges icebergs de la mémoire et fait résonner dans « une nuit noire alliée à l’océan noir », les « noirs secrets de ce monde ». Les voyageurs de la longue traversée reliant deux mondes, Europe et Amérique, sont constitués de la fine fleur de la société.

Réduits à leur fonction, les personnages dessinés par l’auteur sont ainsi des actions, des êtres-­‐là qui ne dissimulent pas leurs corps, mais les mettent en mouvement. La vie de ces êtres naît d’une mécanique qui semble actionner le paquebot, l’entraînant dans les abysses de l’océan. La pièce est écrite pour dix comédiens et trois comédiennes. À chaque personnage, un être de chair comme s’il fallait éviter des confusions. Chaque comédien existant, par­‐delà son personnage, décrit, nommé comme figure ne pouvant être dissimulée ou partagée : Le capitaine, Le docteur, Elle, Le coryphée, Le choeur.

Le choix de la « capitale » pour les personnages renforce ainsi le caractère universel de ces êtres, les désigne comme une « totalité » engendrée par ce qu’ils sont. « ELLE » est, et c’est tout. LE CHOEUR, à l’image du choeur antique livre ses 9 choreutes, des strophes et des anti-­‐strophes qui claquent comme contre point aux bruissements de l’océan. L’auteur convie dans son orchestra, un chiffre 9 qui est aussi la fin d’une série et son commencement. Le zéro étant le néant, la fin ultime d’un bâtiment nommé « Esperanza ». Au nihil sera confrontés un brassage humain constitué de 9 « passagers de première, de deuxième et de troisième classe et de l’équipage de l’Esperanza ». À leur fonction ou titre, l’auteur a attribué des numéros. Cette indifférenciation révèle des masques : 1, le marin ; 2, le cuisinier ; 3, le banquier ; 4, le marchand de métaux lourds ; 5, le producteur de cinéma ; 6, le scénariste ; 7, le lord ; 8, la collectionneuse viennoise de rubis latino-­‐américains ; 9, la baronne norvégienne.

Le choeur décrit, commente, maudit « les bourgeois polyglottes qui vomissent sur le pont », interroge, alterne ses douleurs avec celles du coryphée. La longue traversée et les vagues d’une mer agitée font vaciller les corps et les mots et tomber les masques. « Tout le monde vomit ». Même la baronne norvégienne ne peut contenir la cuisine au « cachet tout particulier » préparé par le cuisinier. Cette déréliction des corps s’accompagne de celle de la « statique du paquebot », mais surtout de l’horloge d’un monde qui ne peut échapper à une fin programmée dans le cerveau du Docteur, « un homme possédant une machine à remonter le temps », pouvant « retourner dans le passé pour effacer tous ses 10 crimes et échapper aux poursuites ». Spécialiste de volcanologie, le docteur n’ausculte pas les « corps des passagers évanouis », notamment celui de la baronne norvégienne « tombée dans les pommes à cause de forts vomissements », mais, détient le secret de la pétrification du monde.

Le drame qui se joue se noue également dans l’écriture qu’il instaure. Cette concomitance de l’action et de l’écriture brouille le jeu théâtral, permet de faire de la scène, le lieu d’un engendrement permanent, un processus qui met en branle une machinerie poétique, une « life story » entre la Belle et la Bête, le Docteur et ELLE, qui ouvre sur « une profonde sieste océanique », annoncée par le capitaine à la fin de la pièce. Le théâtre, lieu de la métaphore, n’est plus seulement le lieu de la vraisemblance. La « destruction du monde » est perçue seulement par le scénariste comme une « image si puissante ». Les « C’est si… je dirais… poétiquement… beau… » sont battus en brèche par le Docteur, dont les interrogations sur les possibilités d’une pensée pouvant activer une puce susceptible de percer la Terre de « l’Arctique jusqu’à l’Antarctique, et en ligne horizontale ». L’imagination ne s’oppose plus au vrai et à la réalité. Elle semble la précéder, lui donner corps. Penser c’est agir et échapper par conséquent aux contingences de la vraisemblance affichée par le scénariste : « Qu’est-­‐ce que la réalité sans l’imagination… et l’imagination sans la réalité » interroge le Docteur.

Dans sa description minutieuse des scènes ainsi mises en abyme, le coryphée, devient voyeur, percevant le drame à venir, tout en se muant en véritable Echo de ce qui s’est passé. Il nous fait accéder à un temps déroutant : « Caché derrière la vitre de sa cabine, le capitaine regardait secrètement pendant des heures, des heures, des heures et des heures la femme du docteur sur le pont de l’Esperanza qui pendant des heures, des heures, des heures et des heures regardait la mer et les hautes vagues, et avec les heures qui passaient montait l’agitation dans le coeur du capitaine. »

Les corps ne cessent de rejeter dans les luxueuses cabines et sur le pont des restes dont ils ne peuvent contenir : fumée du « gros cigare puant Wild Brazil » pour le Docteur, des vomissements collectifs des passagers, la masturbation derrière un paravent du banquier et du marchand de métaux lourds. La scène est aussi le lieu des visibilités, des photos du docteur, qui rendent comptent des ruses déployées pour se cacher et échapper au voir : « Quelqu’un pourrait me reconnaître », redoute le Docteur, grande figure de l’intelligence, « accusé de crime contre l’humanité ». Arborant un masque, et ne pouvant voyager « sous son vrai visage », il vit reclus dans la cabine avec ELLE.

Seul le choeur, telles des Erynies, juge mais surtout débat de la culpabilité, retrouvant sa fonction originelle esquissée par Eschyle dans son Orestie, celle de pourchasser le Docteur tout en déployant la longue litanie du nihil crépusculaire.

Dans une écriture au style cisaillé et limpide, la scène nous révèle un charivari destiné à confondre le criminel. La scène de l’arrestation, orchestrée par « deux cents commandos vert sombre sautant des vingt hélicoptères sur le pont de l’Esperanza » se transforme en une danse macabre, « un hurlement hystérique », une « toile des rayons laser bleus, verts, jaunes et rouges » provenant des lasers automatiques qui atteignent 11 les différents passagers du paquebot faisant sur les deux premiers visés « un trou gros comme la tête d’un enfant » dans le ventre de l’un, puis dans la tête d’un autre. C’est avec « élégance », qu’ELLE « appuie » sur le laser automatique pris à un commando. Le théâtre révèle, en tutoyant les confins de la vie le tragique humain, où le malheur et la mort surgissent des heurs pétris par la farce.

En proclamant, dans son ultime adresse au Capitaine que « La mort humaine se diversifie. La mort peut être inventive. Elle a aussi sa beauté », ELLE a voulu se « distraire par ennui » en convoquant la « plus minable » action, le théâtre, celui d’une mort, qui sourd dans un « effeuillage des désirs obscurs », qui hantent l’imaginaire humain, tout en nous interrogeant sur les « noirs secrets de ce monde » : « comment est­‐il possible de dormir… »

Amos Fergombe, dramaturge

Sélection d’avis du public

Remarquable! Par Marija L. - 9 avril 2014 à 12h29

Un texte exceptionnel et une mise en scène et des acteurs remarquables . Un auteur à suivre. Un spectacle à ne pas manquer.

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Remarquable! Par Marija L. (1 avis) - 9 avril 2014 à 12h29

Un texte exceptionnel et une mise en scène et des acteurs remarquables . Un auteur à suivre. Un spectacle à ne pas manquer.

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Vingtième Théâtre

7, rue des Plâtrières 75020 Paris

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Vingtième Théâtre
7, rue des Plâtrières 75020 Paris
Spectacle terminé depuis le dimanche 20 avril 2014

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