Cannibales

Malakoff (92)
du 20 au 30 janvier 2015
1h30

Cannibales

Un parc, un landau, trois femmes, un cri : « Ma fille a disparu ! » Pas de battue policière pour rechercher la petite, mais trois visages féminins autour du rapport aux enfants et à l’amour maternel. José Pliya fait durer le plaisir et nous torture savamment avec trois actrices d’exception qui soutiennent le rythme de cette quête initiatique, toute de touches et d’incises.

Un parc, un landau, trois femmes, un cri : « Ma fille a disparu ! » Pas de battue policière pour rechercher la petite, mais trois visages féminins autour du rapport aux enfants et à l’amour maternel. Le désespoir de n’avoir jamais enfanté. La quête d’un miroir. Le statut social. Fantasme ou réalité… José Pliya fait durer le plaisir et nous torture savamment avec trois actrices d’exception qui soutiennent le rythme de cette quête initiatique, toute de touches et d’incises. Trois Parques ou Médée en puissance, trois femmes pour fouiller les voies énigmatiques de l’accès à soi et au cannibale qui sommeille en chacun de nous.

  • Note d'écriture

Il arrive qu’un couple, un homme et une femme, décide d’avoir un enfant. Il le conçoit, l’attend, l’espère. Il arrive que cet enfant, à deux, six ou neuf mois de grossesse et pour des raisons diverses – fausse couche, interruption volontaire pour cause de maladie, accident... – ne voit jamais le jour. Lorsque ce malheur arrive, il est étonnant de voir le cercle familial et social déployer toute sa tendresse, sa compassion, ses attentions à la femme. Rien qu’a elle. L’homme est bien souvent le grand oublié. J’ai écrit Cannibales pour rendre compte de la douleur de la perte telle que vécue par un homme. Pourtant, je suis convaincu qu’à un certain degré de malheur, peu importe qu’on soit homme ou femme. Seul compte le puits sans fond de la souffrance.

C’est pourquoi j’ai choisi de donner mon expérience d’homme en partage à une femme, une femme à trois visages : Christine, Martine, Nicole. Quelle expérience ? Celle de la disparition. Ici, celle d’un enfant mais au-delà, celle de tous bien social sacralisé. Dans la pièce, écrite comme un parcours initiatique, ces trois femmes sont à trois niveaux d’expérimentation. Christine, la nouvelle venue dans ce territoire de la perte est encore pleine d’espoir. Elle a perdu quelque chose, qu’elle dit être son bébé. Elle en est persuadée, convaincue. Avec énergie, force et détermination elle veut le retrouver. Elle est au début de la quête. À cet instant du chemin où on est encore confiant, rempli d’illusion sur une issue positive. Elle sait instinctivement, biologiquement que posséder un enfant, comme on possède une voiture précieuse, vous donne une position, un statut et des privilèges. Par pur égoïsme, elle ne peut abandonner. Martine est à mi parcours. Les frustrations des espoirs déçus elle les a déjà connues. Elle sait que vouloir retrouver l’ineffable est une chimère. Pourtant l’idée qu’elle entretient des avantages sociaux liés à la maternité est plus forte que tout.

Alors à défaut d’un bien qui lui soit propre, elle est prête à se contenter du bien d’une autre. Elle est encore gouvernée par cette « dictature » à la fois sociale et naturelle de la maternité – ou de la possession, c’est égal – à tout prix. Alors si elle doit passer par les apparences pour exister, elle le fera : plutôt un landau, même vide, que pas de landau du tout. Nicole a fini son initiation. Elle est passée par tous les stades du désir : envie, excitation, possession, dépossession, égoïsme, orgueil, amour propre, filiation, transmission, mort, disparition… Elle en est revenue. Elle sait que face aux questions métaphysiques que posent le silence brutal d’un être – ou d’un bien – disparu, il n’y a de salut ni dans la quête, ni dans la substitution, ni dans l’au-delà.

Pour survivre à tant de douleur, elle a su s’inventer une voix singulière, insolite, originale : celle de la dévoration. Plutôt que de se laisser, impuissante, dominer par la souffrance, elle décide de manière radicale, de renverser la vapeur et de prendre le pouvoir. À la manière ancienne des guerriers cannibales qui mangeaient le coeur de leur ennemi pour s’incorporer leur force, elle décide de manger l’objet de la souffrance, et avec lui tous les clichés, tous les préjugés, toutes les idoles de représentation sociale qui l’accompagnent. Ce texte est le récit nietzschéen d’une émancipation.

José Pliya

  • Note de mise en scène

On se souvient de La disparition de Georges Pérec. Tout au long des trois cent pages de son roman, l’auteur réussit une double prouesse : sur la forme, en faisant disparaître la lettre « e » ; sur le fond, en lançant les personnages à la recherche du protagoniste, Anton Voyl, qui a disparu. Cannibales s’ouvre sur une phrase clé : « Ma fille a disparu ». L’enquête policière est aussitôt convoquée et par la forme comme par le fond, la mise en scène mettra en jeu cet invariant du genre : le mystère d’une disparition.


La forme : On sera dans l’univers codifié du roman ou du film noir. La création lumière installera un climat de nuit, de noirceur, d’obscurité expressionniste ; l’environnement sonore baignera dans une ambiance de trottoir mouillé, de pluie, d’humidité ; l’espace scénographique déclinera de manière concrète les esthétiques de l’urbanité mais aussi de l’angoisse et de la solitude qui la caractérise. Ce cadre formel, fortement référencé dès le début, s’estompera progressivement, disparaissant au fur et à mesure que l’enquête avance.


Le fond : Il sera question, non pas d’une enquête policière, mais d’une enquête métaphysique. Le langage sera le mode opératoire. En effet, si les trois personnages usent en apparence du champs lexical convenu du genre policier (crime, mobile, coupable, victime, enquête…) c’est au service d’une autre sémantique : celle de la recherche des causes et des principes premiers de la maternité. Christine et Martine, par leurs actes, cherchent à résoudre une énigme fondamentale pour la compréhension de notre monde : Qu’est ce que c’est que la propriété ? Nicole, par ses silences, son ironie et sa froide clairvoyance va leur proposer un chemin radical et primitif de connaissance pour atteindre à une vérité et trouver leur liberté.

Les intentions seront creusées dans un parallèle avec le roman de Georges Pérec : l’enjeu n’est pas de retrouver un bébé disparu, puisque d’entrée il est posé, comme la lettre « e », qu’il n’existe pas. L’enjeu, est de questionner la souffrance liée au manque : pour Pérec, celle de la disparition de sa mère déportée à Auschwitz en 1943 ; pour moi, celle d’un enfant attendu et qui ne viendra pas.

José Pliya

  • Extrait de la pièce

« CHRISTINE : Mademoiselle, ce n’est pas de l’aide que vous m’apportez, c’est de l’angoisse. Une angoisse mouvante comme il en est des sables, et qui va nous engloutir, vous, moi et aussi cette dame qui feint l’indifférence. Oui madame, c’est de vous que je parle. Votre position n’est plus tenable. Vous me devez aussi de l’attention, à moi et à ma fille. Je vous tiens responsable du cyclone d’angoisse où je me trouve. Vous m’avez conduite au bord d’un précipice et il va bien falloir que vous me reteniez ou que vous plongiez avec moi. C’est bien vous qui m’avez conseillé Martine. Mais Martine ne peut rien, mais Martine ne sait rien, mais Martine me dit que vous étiez là bien avant qu’elle n’arrive et pendant mon sommeil. Tout me ramène à vous et à votre regard où il se passe des tas de choses que j’aimerais comprendre. Madame.

NICOLE : Si vous cherchez une confrontation, vous ne l’obtiendrez pas. Vous n’aurez pas cette faveur. Cela supposerait que nous nous connaissions et que je vous ai reconnues, vous et votre fille. Je ne vous connais pas. Aussi, rien ne m’oblige à vous répondre, ni ma volonté, ni mon envie et je n’ai de disponible pour vous que mon indifférence. Si je vous ai envoyée auprès de cette femme, c’est par commodité, pour vous écarter et pour vous mettre en marge de mon espace d’identification. Ne vous méprenez pas. MARTINE : Mesdames, le ton de la civilité s’éloigne et vous voici en territoire de discordance. Mon fils…

CHRISTINE : Ne vous en faites pas pour votre fils. C’est un enfant et comme tous les enfants, il saura s’accommoder de la musique de nos voix aussi aigües, aussi stridentes, aussi violentes qu’elles soient. Regardez donc ma fille : voici de longues minutes qu’elle s’accommode du bruit assourdissant de mon absence. Ne vous en faites pas. Craignez plutôt pour moi, à qui elle commence à manquer et pour vous qui feriez mieux de joindre votre voix à nos lamentations.

NICOLE : Nos voix, nos lamentations… Vous êtes une entêtée mademoiselle. C’est une qualité. Voilà pourquoi je ne doute pas que vous retrouverez l’enfant. Mais puisqu’il faut me répéter, je me répète encore : il n’y a pas de quête collective, il n’y a pas d’association de femmes à la recherche d’objet, de chien ou de gamine perdue, il n’y a pas d’orchestre pour la bonne raison que je ne suis pas musicienne et quand bien même je le serais, la partition d’enfance que vous me proposez de jouer ne m’intéresse pas. Ceci posé, vous pouvez faire duo avec qui bon vous semble, cela ne me regarde pas.

MARTINE : Mesdames, la tournure de votre discussion devient intolérable. Nous allons…

CHRISTINE : Nous allons nous démener, nous allons nous affoler, nous allons paniquer de concert pour retrouver ma fille, pour retrouver Christine.

NICOLE : Vous pouvez survoler le parc si ça vous chante, grimper aux cimes des acacias ou barboter dans les mares glauques à la recherche d’une noyée, cela ne me regarde pas.

MARTINE : Mesdames, Christine, madame, ce n’est plus raisonnable. Je vais devoir partir.

CHRISTINE : Ne faites pas ça Martine. Vous risquez de rajouter la suspicion à mon angoisse, à ma détresse. Ne commettez pas cette erreur. Il en est de même pour vous, madame. Elle vous serait fatale.

NICOLE : Je ne répondrai pas à vos provocations, je vous l’ai déjà dit. Votre belle agitation m’indiffère. Je n’ai pas l’intention de m’en aller car j’ai choisi ce lieu, ce banc pour le calme qui y règne et j’entends bien le retrouver après votre départ.

MARTINE : Je dois vraiment partir. Je vous ai dit ce que j’ai vu et tout ce que je sais. À présent, il me faut m’en aller. Je dois le protéger, mon fils, je dois le protéger de la violence.

CHRISTINE : Il n’y a pas de violence. Il ne peut y en avoir. Une maman a perdu son bébé qui reposait dans un landau. Deux femmes sont à ses côtés et elles ont vu, ou entendu, ou pressenti cette disparition. Elles ne le savent pas ou elles ont oublié. Ce n’est pas grave. La mère est là pour les aider à se ressouvenir. C’est son rôle, c’est son devoir. Et si elles n’y arrivent pas, la mère dispose d’un arsenal de persuasion : il y a l’interrogatoire qui vise à poser les questions les plus inattendues, les plus saugrenues, les plus irritantes afin de délier les coeurs et les langues ; il y a le harcèlement, pour attaquer les mémoires défaillantes et raviver les souvenirs les plus secrets, les plus enfouis, ceux qu’on croyait ne pas avoir et qui vous reviennent malgré tout ; il y a les coups, les coups de poings, les coups de pieds, les coups de dents, ceux que l’on donne avec des pierres sur la tête et quand il n’y a plus de pierres, il reste les ongles qu’on plante dans les cheveux, pour vous forcer à retrouver tous les bébés perdus dans des landaus depuis la Création. Ce n’est pas de la violence, c’est une recherche légitime. »

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Informations pratiques

Théâtre 71

3, place du 11 Novembre 92240 Malakoff

Accès handicapé (sous conditions) Bar Grand Paris Hauts-de-Seine Librairie/boutique Restaurant
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  • Bus : Hôtel de Ville à 129 m, Victor Hugo à 141 m, Plateau de Vanves à 231 m, Pierre Larousse - Carrefour du 8 Mai 1945 à 301 m, Adolphe Pinard à 394 m
  • Voiture : Périphérique, sortie Porte de Vanves ou Porte Brancion puis direction Malakoff Centre-ville.

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Plan d’accès

Théâtre 71
3, place du 11 Novembre 92240 Malakoff
Spectacle terminé depuis le vendredi 30 janvier 2015

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